Comme
chacun sait, la musique est dépendante du facteur temps : toute partition
impose des indications précises et calibrées par son compositeur (tempo,
rythme, mode, etc) à son interprète. De fait, la musique est un art du temps.
D’où provient cette notion de temps et sa retranscription sur le papier ?
Avant
le XIIIème siècle, seules les hauteurs (le fait qu’un son soit plus ou moins
aigu) étaient fixées sur la partition.
Quelques
rares marquages étaient indiqués : un temps de pause approximatif ou une
respiration.
Ces
indications, très peu généralisées, suivaient la logique du texte liturgique
chanté. De cette écriture musicale sont issus les premiers éléments de
ponctuation : par exemple, la virgule qui annonçait la notion d’une pause
courte et le point qui annonçait la notion d’une pause longue.
La
conception du temps dans la musique dite occidentale est héritière de
changements issus du XIIIème siècle. Cette période constitue un jalon dans
l’histoire des représentations du temps.
En
effet, l’histoire fonctionne par croisement d’idées : la musique a
participé activement à cette aventure. Dans cette conception, l’historien
Jacques Le Goff écrit que « la musique subit alors l’effet convergent de
mutations intellectuelles et mentales qui s’ordonnent autour de trois notions :
la raison, le nombre et le temps, dont la combinaison produit une véritable
révolution conceptuelle ».
C’est
à cette époque que la musique passe d’un procédé non mesurée à un procédé
mesurée. « Non mesuré » signifie que lorsqu’on indique une note mais
qu’on ne lui attribue aucune notion de durée, et « mesuré » signifie
son contraire : on note sa durée. Ce passage d’une musique non mesurée à
une musique mesurée est en lien avec la séparation du profane et du
sacré : le sacré étant le temps de Dieu qui lui ne souffre d’aucune
mesure. Le désir de mesurer (ou déterminer la mesure) ouvre la voie à la
science, à la rationalisation et au temps.
Au XIIIème
siècle, le concept de mesure musicale est introduit au sein de l’église. Jean
de Garlande définit la mesure comme : « la connaissance des sons selon la
longueur et la brièveté du temps ». Le temps musical qui était jusqu’à là
considéré comme continu à l’instar du temps divin, devient divisible en unités,
en notes brèves et en notes longues. La manière de noter le rythme est ce que
l’on appelle la théorie des modes : le compositeur indique le mode rythmique
qu’il utilise. Le mode est une cellule rythmique (par exemple le premier mode :
longue-brève-longue-brève) qui se répétera du début à la fin du morceau. Le
mode choisi constitue une unité temporelle qui peut être divisée, combinée ou
augmentée, afin d’élargir le spectre des possibles. Ce nouveau mode de mesure
répond au besoin de systématisation des compositeurs parisiens qui sont le
centre de l’activité musicale à cette époque. Leurs œuvres devenant de plus en
plus complexes à cause du nombre croissant de chanteurs, une notation du temps
devient nécessaire. En effet, ces compositeurs composaient des
« motets », type d’écriture musicale superposant plusieurs voix, et
ces différentes voix étaient ordonnées pour produire un effet d’homogénéité et
de continuité. Mais pour cela, il fallait que les chanteurs puissent se repérer
dans le temps les uns par rapport aux autres, et ainsi être « en place » :
comment tombe une note par rapport à une autre ? Est-elle en même temps,
après …?
En
parallèle, la mesure du temps et ses techniques convergent avec les besoins
d’une société marchande en croissance. En effet, le commerce et l’emploi
salarié créent un besoin de mesure. De cette nécessité est apparu l’horloge
mécanique qui devient le représentant du passage d’une imitation analogique de
la nature (le temps coule comme l’eau pour l’horloge hydraulique) à un modèle
abstrait. La force motrice de l’horloge est donnée par un poids, retenu par un
mécanisme d’échappement en saccades régulières, correspondant à autant d’unités
que de saccades. « A partir de la continuité du temps, on établit une
quantité mesurable » écrit Sylvain Piron.
Le temps est désormais
pensé, et vécu, à la fois comme continu et mesurable par division. C’est donc à
cette époque que prend naissance la représentation que chacun de nous se fait du
temps. Un temps permettant la prise de rendez-vous précise entre des individus,
mais aussi vécu comme une succession de moments continus.
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