La revue Tacet est une revue de recherche
dédiée aux musiques expérimentales, en bilingue français / anglais, et
consacre, en toute logique son premier numéro au compositeur américain John
Cage en posant la question suivante : Qui est John Cage ? Le titre, Tacet, est
expliqué par Xabier Erkizia, dans son article «A l’écoute de notre propre
surdité». John Cage intitula les mouvements de son oeuvre 4’’33 «Tacet», ce qui
signifie en latin «Il / elle se tait». Ce terme est utilisé en musique pour
indiquer qu’un instrument doit garder le silence durant toute une partie. C’est
donc sous le patronage de John Cage que se place la revue Tacet.
Le revue s’organise en quatre parties. La
première s’intitule Flux, elle traite donc intégralement de la thématique, à
savoir John Cage. La seconde partie, Influx, explore des sujets connexes en
prenant plus de liberté sur la thématique. La troisième, Aflux, regroupe des
archives ou documents. Enfin, Reflux, est une rubrique de critique d’ouvrages
ou d’événements.
La première partie, la plus conséquente des
trois, est traversée par trois thématiques: la recherche du personnage, de
l’homme John Cage, son homosexualité, un témoignage d’un musicologue, Jean-Yves
Bosseur qui fut proche de lui; la grande question Cagienne du silence, principalement
traitée à partir de sa pièce pour piano 4’’33; et la thématique de la musique
conceptuelle, pour laquelle Cage doit beaucoup à son ami Marcel Duchamp, et
marquée par l’improvisation.
La revue reconstitue également la
bibliothèque de John Cage à travers ses dits et écrits.
Parmi les nombreux articles, en voici
quelques uns qui ont attiré notre attention.
Toshiya Tsunoda, compositeur japonais,
narre son évolution esthétique au sein du mouvement des musiques
expérimentales, et plus particulièrement du field recording. Le field recording
consiste à enregistrer des environnements sonores. Tsunoda nous explique qu’au
départ, sa volonté était de restituer au plus juste la réalité d’une atmosphère
sonore. Que se passe t-il dans une clôture ou une bouteille de verre ? Tsunoda
s’est attaché à présenter la transmission des vibrations, la façon dont un
matériau restitue son environnement sonore, comment il se met à vibrer, en
utilisant des micros en contacts avec l’objet vibrant. Un objet devient un sujet
au sein d’un espace, miroir déformé de cet espace. Mais Tsunoda lui-même est un
sujet de l’environnement, c’est pourquoi sa dernière idée consiste à se placer
un stéthoscope sur les tempes, dans lequel il installe des micros d’ambiance,
ce qui lui permet d’enregistrer le son de ses muscles, sa circulation sanguine,
ou encore le son du vent frappant son visage. Il restitue maintenant la réalité
sonore sous la perspective de sa propre perception.
«Faire entrer la société dans le son»
écrivait le compositeur Luc Ferrari. Matthieu Saladin pose la même question que le philosophe
Theodor Adorno concernant le caractère fétiche de la musique, mais cette fois
au sujet de la musique expérimentale. La problématique est celle-ci : la
musique expérimentale se pose en critique de la tradition musicale, mais au
prisme d’une analyse adornienne, Matthieu Saladin montre qu’elle fait preuve
d’un fétichisme manifeste, entamant par là-même ses velléités critiques. Les
musiques expérimentales, selon l’auteur, n’ont qu’un mot à la bouche, de Pierre
Schaeffer à John Cage : le son. Le terme de musique est substitué au mot son,
qui doit être émancipé de toute histoire. Mais cet idéalisme contenu dans le
retour à une nature sonore, est critiqué par Adorno qui y identifie un danger de
fétichisme de l’autonomie, qui coupe
l’oeuvre ainsi produite de sa réalité sociale. Malgré le fait que les musiciens
expérimentaux pourraient croire qu’en autonomisant leur art, ils se préservent
de sa récupération marchande par les industries culturelles.
Un grand thème de l’esthétique de John Cage
est la musique conceptuelle qu’explore Sophie Stévance dans son article à
travers le lien entre Marcel Duchamp et Cage. Marcel Duchamp a en effet composé
deux partitions musicales en 1913, selon un principe de hasard, comme une sorte
de réaction à la musique romantique qu’il n’aimait pas, et pour la pousser à
ses propres limites. C’est bien cette usage du hasard pour soustraire leur art
de leur propre intention qui réunit ces deux artistes. L’auteur définit la
musique conceptuelle comme une musique ne nécessitant pas d’être exécutée,
contrairement à la musique traditionnelle, et elle l’apparente au système
musical de Duchamp qui vise principalement à parvenir à l’indifférence
esthétique.
Il sera intéressant de lire l’entretien
avec le musicologue Jean-Yves Bosseur, qui a connu Cage en personne et l’a
interviewé, et qui revient sur la réception de l’oeuvre de John Cage notamment
en France.
Nous attendons la thématique du prochain
numéro, après ce passage obligé par John Cage.
Ilan Kaddouch
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