lundi 5 novembre 2012

La mort de l' "auteur" dans les musiques électroniques.


Résumé de l’article d’Elie During dans Sonic Process, Une nouvelle géographie des sons, Centre Pompidou, Paris, 2002.

Dans cet article le philosophe Elie During s’interroge sur la mort de la notion d’auteur dans les musiques électroniques. Deux types de discours entourent cette musique, celui qui place le DJ comme maître de cérémonies de transes où s’opèrent une fusion des corps, et un autre où le DJ n’est qu’un opérateur d’une technologie qui le dépossède de son statut d’auteur. Donc le DJ est tantôt orienté vers le lien social, tantôt vers les objets.
Pour preuve de la disparition de l’auteur on peut citer les musiciens KLF (Kopyright Liberation Front) pour qui «les tubes n’ont jamais été fabriqués qu’à partir d’autres tubes». Les musiques technos élaborent des stratégies de disparition : la voix disparaît, les musiciens quittent la scène, ils développent l’anonymat ou les identités multiples, et s’effacent derrière le nom de leur label comme le label «M». L’artiste était l’auteur et le propriétaire de son œuvre, à présent ce sont les «ateliers-labels» qui marquent les produits.


L’artiste techno devient artisan produisant des gestes avec le medium technologique : l’invention du dubbing* par King Tubby, le fondu enchaîné entre deux disques par Francis Grosso, le punch phasing*, back spinning et le scratch par Grandmaster Flash… L’œuvre est une sorte de prolongement des gestes du DJ. Sun Ra disait : «Je suis un instrument», et Juan Atkins «Je veux que ma musique soit un dialogue entre ordinateurs… Je veux qu’elle sonne comme si c’était un technicien qui l’avait faite». On est ici à l’opposé de la conception de l’artiste romantique démiurge et tout puissant qui fait émerger l’œuvre du néant.
Elie During explique que la mort de l’auteur n’est pas née du jour au lendemain, mais doit être contextualisée et se comprendre dans l’histoire de la performance du DJ dont l’objet est de faire danser. Il y a une transition du DJ exécutant qui passe des disques en soirée, au DJ compositeur et DJ artiste. Le rôle premier du DJ est de faire danser, et donc de faire durer la musique toute la nuit. Il joue la face A et B du disque et le démembre ensuite dans la pratique du dub. De cette façon, le morceau passe de 3 minutes à 20 ou 30 minutes. Plus tard, le DJ compositeur considérera le disque ou le morceau existant comme un matériau de base pour sa création, notamment avec le sampling* ou découpage-collage. L’artisan techno cherche simplement à produire une musique suffisamment construite pour fonctionner dans son contexte dancefloor ou autre.
La première disparition de l’auteur réside dans le fait que le DJ est un passeur, il s’approprie ce qu’il entend pour le redistribuer à ses amis ou son public.
La seconde disparition de l’auteur est l’avènement de l’écoute distraite comme le prône Brian Eno entre autres : «Si on laisse sa personnalité hors du cadre, on invite l’auditeur à y entrer».

                                                          Ilan Kaddouch


Dubbing: technique de remixage des différentes pistes d’un morceau par l’adjonction de divers effets comme le delay, la réverbération ou l’écho.
Punch Phasing: technique nécessitant deux disques et deux platines, et consistant à faire jouer le rythme de l’un sur la musique de l’autre.
Sampling: création musicale assistée par un échantillonneur (appareil stockant des échantillons de sons variés). 

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